Le ministre Gilbert Bawara, invité spécial de la chaîne de télévision New World. Ce n’est pas l’information du siècle. Les analystes de la scène politique togolaise connaissent les rhétoriques de l’homme. En effet, depuis presque une décennie, le ministre inamovible de Faure Gnassingbé est la figure emblématique des communications de crise du gouvernement. Les cheveux et moustache de Gilbert Bawara grisonnent, mais le ministre reste fidèle à sa réputation. Ses méthodes n’ont pas changé.


Ce n’est donc pas pour obtenir un scoop que nous nous sommes fait violence pour le suivre. Alors que le pays est sous tension depuis près d’un mois, c’est le seul ministre à avoir eu le mérite de briser la glace et de s’adresser directement à la population. Qu’on l’aime ou non, Gilbert Bawara n’a pas peur de parler aux Togolais.


Si nous avons pris sur nous de commenter la sortie du ministre, c’est parce que nous avons été estomaqués par la facilité avec laquelle il a balayé du revers de la main les graves accusations de torture formulées par l’avocat de AAMRON, Me Célestin Agbogan. Esquivant d’abord la question, le ministre a jugé bon de s’attaquer à la personnalité de l’avocat de l’artiste. Nous vous épargnons les termes péjoratifs utilisés, mais retenons qu’il n’exclut pas que l’artiste soit manipulé par son conseil. Sûrement comme beaucoup de téléspectateurs, le journaliste Gilles Bocco, insatisfait par cette réponse, relance le ministre et évoque le cas des autres manifestants qui dénoncent eux aussi des actes de torture dont ils affirment avoir été victimes.


Nous nous attendions à ce que le ministre annonce l’ouverture d’une enquête pour faire la lumière sur ces allégations. Ne nous trompons pas : nous savons que de nombreuses enquêtes déjà ouvertes n’ont pas abouti à des conclusions encourageantes. Mais à notre grand étonnement, le ministre semble justifier le sort réservé aux manifestants par le caractère illégal de la manifestation du 6 juin 2025.
« Que l’État ait pris les décisions les plus fermes pour éviter que ce désordre, ce chaos, ces affrontements voulus et prophétisés par certains ne puissent se produire, je crois qu’au Togo comme ailleurs dans toutes les démocraties, l’État ne peut pas agir autrement que comme il l’a fait », a déclaré le ministre.


Ainsi donc, à en croire monsieur Gilbert Bawara, les forces de l’ordre auraient parfaitement rempli leur mission. Nous sommes choqués par ces propos. Car au Togo, la Constitution interdit formellement la torture. L’article 2 de l’annexe de notre loi fondamentale stipule que : « Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » Même le pire criminel ne doit donc pas être soumis à la torture. Le ministre Gilbert Bawara, par cette déclaration, vient-il de donner un permis aux forces de l’ordre ? Vient-il de mettre une cible sur le dos des prochains manifestants ? La torture serait-elle désormais la peine prévue pour une manifestation illégale au Togo ?


Nous préférons croire que Gilbert Bawara, aussi bien informé soit-il, n’est pas au courant des actes de torture en question. Le ministre a certainement ignoré le témoignage du jeune Michel Tiame, qui affirme avoir été battu, les pieds attachés :
« On nous a torturés proprement. Ils nous ont versé de l’eau dessus. Ils nous ont fait nous coucher par terre. Ils nous ont frappés avec des cordelettes. Ils nous ont attaché les pieds avec ces cordelettes et nous ont frappés sous la plante des pieds. », avait-il déclaré dans une vidéo.


Monsieur le ministre n’a sûrement pas entendu le témoignage de cette femme qui raconte avoir été contrainte de faire ses besoins devant des hommes dans son lieu de détention. Il n’a probablement pas vu les nombreuses images de manifestants portant des traces visibles de violence. Personnellement, nous avons eu la malchance de voir, à la brigade de gendarmerie de Djidjolé, une femme dont le corps était couvert d’hématomes. Depuis, nos nuits sont troublées. Nous sommes hantés par ces images que personne ne devrait jamais voir. Monsieur le ministre n’a sûrement pas lu les communiqués d’Amnesty International et de la FIDH.
Mais nous gardons espoir que le gouvernement réservera un meilleur traitement à ces nombreux cas de torture, qui déshonorent notre pays.

Ceci est un éditorial de Roger Adzafo pour le magazine TOUT AFRICA