La joie des parents et amis de retrouver leurs proches libérés les 9 et 10 juin 2025 a été de courte durée. Les manifestants du 6 juin, arrêtés par les forces de l’ordre, se sont retrouvés pour la plupart dans des centres de soins après trois jours de garde à vue. Et pour cause, ces jeunes, qui réclamaient une meilleure gestion du Togo, auraient subi des sévices corporels durant leur détention. Depuis leur libération, les langues se délient, et les images insoutenables inondent les réseaux sociaux. Le silence du gouvernement togolais face à ces graves accusations de torture inquiète.

Le dimanche 8 juin 2025, une équipe de la rédaction de TOUT AFRICA a rendu visite à quelques manifestants détenus à la brigade de gendarmerie de Djidjolé, communément appelée « Anti-gang ». À l’entrée, des gendarmes, plutôt courtois, récupèrent les téléphones et pièces d’identité des visiteurs. Ces derniers sont ensuite dirigés vers le hall du bâtiment où sont détenus les manifestants du 6 juin.

Sur une chaise de fortune était assise Bikoni Koumayi, le regard fuyant. La jeune leader politique et sage-femme cachait mal ses larmes qui s’écrasaient au sol. Elle venait d’être extraite de sa cellule pour une formalité. Un peu plus loin, une jeune femme aux formes généreuses fait son entrée dans le bureau des gendarmes, le regard vide. De nombreux hématomes recouvraient ses deux bras, tels des tatouages extravagants.

Ces scènes inquiétantes contrastent avec l’ambiance de l’autre côté du hall, où un manifestant extrait de sa cellule demandait à un gendarme l’autorisation de passer un coup de fil. Les discussions entre les gendarmes et les manifestants, en ce lieu, ne laissaient entrevoir aucun signe de mauvais traitement.

Le 9 juin, le procureur de la République a annoncé, dans un communiqué lu à la télévision nationale, la libération d’une cinquantaine de manifestants. Le lendemain, une autre vague a été remise en liberté. Plusieurs d’entre eux ont pris le chemin des formations sanitaires, où ils subissent une batterie d’analyses et de traitements. Dans la foulée, certains commencent à raconter l’enfer qu’ils ont vécu durant ces quelques jours de détention.

Des manifestants, ayant requis l’anonymat, déclarent avoir été longuement fouettés les 6 et 7 juin 2025. Ils évoquent des scènes horribles : leurs tortionnaires se seraient constitués en groupes de quatre pour frapper un manifestant. Ces traitements inhumains auraient duré de longues heures, à en croire les témoignages.

Michel Tiame fait partie des victimes des actes de torture :« On nous a torturés proprement. Ils nous ont versé de l’eau dessus. Ils nous ont fait nous coucher par terre. Ils nous ont frappés avec des cordelettes. Ils nous ont attaché les pieds avec ces cordelettes et nous ont frappé sous la plante des pieds. », raconte-t-il dans une vidéo devenue virale sur Tik Tok.

Des images insoutenables

Des images diffusées récemment sur les réseaux sociaux confirment les mauvais traitements que les manifestants auraient subis durant leur détention. Les actes de violence inouïe exercés sur les détenus ont laissé des traces visibles sur les corps. Sur les réseaux sociaux, l’indignation est totale.

« L’image que vous voyez ici est celle d’une femme qui a été victime de torture après avoir osé sortir dans les rues pour dénoncer les abus du pouvoir en place. Malheureusement, de nombreuses femmes et de nombreux jeunes se trouvent dans des situations similaires, confrontés à des violences inacceptables. Mais qu’est-ce qui se passe ? Êtes-vous conscients de ce que vous faites ? Vous êtes humains, non ? », s’est indignée l’artiste togolaise K-Roll, qui vit depuis quelques années hors du pays.

Est-ce l’œuvre des forces de l’ordre ? Les gendarmes courtois rencontrés à la brigade de Djidjolé auraient-ils pu traiter leurs compatriotes de la sorte ? Malgré la vive émotion et le choc suscités par ces images, le gouvernement n’a toujours pas brisé le silence pour situer l’opinion. Les faits semblent banalisés.

Ce n’est pas la première fois que les forces de l’ordre sont accusées d’actes de torture. Selon la Fédération Internationale pour les Droits de l’Homme (FIDH), « les défenseurs des droits humains font régulièrement l’objet de disparitions forcées, d’arrestations arbitraires et d’autres formes d’intimidation dans le but de museler leurs critiques du gouvernement. » L’organisation demande la libération des manifestants du 6 juin encore en détention et « appelle les autorités togolaises à garantir, en toutes circonstances, la sécurité des citoyens, en particulier lors des manifestations prévues les 26, 27 et 28 juin 2025. »

Pour rappel, la situation politique togolaise est tendue depuis l’adoption par le Parlement d’une nouvelle Constitution faisant basculer le pays dans un régime parlementaire. L’arrestation de l’artiste Aamron, connu pour ses critiques acerbes à l’égard du régime de Faure Gnassingbé, a amplifié les tensions. Certains partis politiques de l’opposition saisissent l’occasion pour exiger la démission de Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005, à la suite du décès de son père, Gnassingbé Eyadéma, qui a gouverné le Togo pendant 38 ans.

Photo d’une manifestante du 06 juin après sa libération