Le 3 mai 2025 marque la fin de la période de transition et l’entrée en vigueur effective de la nouvelle Constitution de 2024 au Togo. En une seule journée, les parlementaires ont désigné le président du Conseil et procédé à l’élection du nouveau président de la République. Faure Gnassingbé, président du parti politique Union Pour la République (UNIR), devient le chef de l’exécutif conformément à la nouvelle loi fondamentale. Jean-Lucien Kwassi Lanyo Savi de Tové, proposé par le groupe parlementaire UNIR, est élu par le Congrès avec 150 voix, soit 100 % des suffrages exprimés. Il devient ainsi le premier président de la République de la 5ᵉ République togolaise.
Votée par les députés sortants de la précédente législature, alors même que le pays ne connaissait pas de crise institutionnelle, cette nouvelle Constitution fait basculer le Togo dans un régime parlementaire, caractérisé par un bicéphalisme à la tête de l’exécutif. Le président de la République, désormais élu par le Congrès pour un mandat de quatre ans renouvelable une fois, exerce essentiellement un rôle honorifique. Le pouvoir réel est concentré entre les mains du président du Conseil, qui conserve sa fonction tant que son parti détient la majorité parlementaire. Pour certains détracteurs, cette réforme constitutionnelle n’est rien d’autre qu’un stratagème du pouvoir en place pour se maintenir indéfiniment.
Malgré les contestations de plusieurs partis d’opposition et d’organisations de la société civile, les Togolais sont désormais entrés dans la 5ᵉ République. Dans les rues de Lomé, la capitale, peu de citoyens ont réellement compris ce qui s’est joué ce 3 mai 2025. Pour certains, il s’agissait simplement d’une fête du parti UNIR. Pour d’autres, Faure Gnassingbé aurait démissionné. D’autres encore estiment que c’était un non-événement. Mais tous se posent une même question : « Et après ? »
Pour l’instant, rien n’a changé. Faure Gnassingbé, nouveau président du Conseil des ministres, reste fidèle à ses habitudes. Il n’a adressé aucun message à la nation depuis sa prise de fonction. Les Togolais s’interrogent également sur les futurs rapports entre le président de la République et le président du conseil. Le président du Conseil n’a pas participé à la cérémonie de prestation de serment de Jean-Lucien Kwassi Lanyo Savi de Tové . Quelle aurait été l’attitude de Faure Gnassingbé s’il avait été présent ? Se serait-il comporté comme supérieur au président de la République ? Aurait-il patienté dans une file avec ses ministres pour saluer le nouveau président de la République? Au-delà de ces considérations purement protocolaires, de nombreuses questions demeurent quant à la vision du nouveau président du Conseil des ministres.
À ce jour, les Togolais ignorent tout des priorités de leur chef de l’exécutif. Sont-elles les mêmes que celles du programme gouvernemental 2020-2025 ? Faure Gnassingbé veut-il, ou peut-il, faire plus que ce qu’il a accompli durant ses vingt années précédentes au pouvoir ? Les attentes les plus pressantes des Togolais restent d’ordre économique et social. Le président du Conseil saura-t-il faire en sorte que les performances macroéconomiques vantées sur la scène internationale soient enfin ressenties par les citoyens ? Car si les expressions Adoléwuo (« ils ont faim ») et Egblin Kekem (« tout est gâté ») sont devenues virales sur les réseaux sociaux, c’est bien parce qu’elles traduisent la réalité quotidienne d’une grande partie de la population. Face à la précarité, beaucoup noient leur désespoir dans l’humour noir et sarcastique, notamment sur TikTok.
Le dernier World Happiness Report doit interpeller les dirigeants de la 5ᵉ République. Malgré les efforts du gouvernement pour assainir les finances publiques et améliorer les conditions de vie, les Togolais ne sont pas heureux. Le pays est classé loin derrière des nations pourtant en crise comme la Libye, le Burkina Faso, le Mali ou encore le Niger.
Pour l’avocat Me Jean Degli, les Togolais ne s’accrocheraient plus à la question de l’alternance si le pays était bien dirigé et si chacun y trouvait son compte. « Que le président de la République gouverne et fasse en sorte que les Togolais oublient même le poste de président de la République. C’est à dire que la gouvernance est tellement bonne, chacun trouve son compte qu’on en vient à oublier qui est là », a-t-il déclaré sur une chaîne de télévision privée de la capitale.
Avec un parlement largement acquis à sa cause, Faure Gnassingbé a aujourd’hui les coudées franches pour mettre en œuvre sa vision du Togo. Reste à savoir s’il choisira de marquer une rupture avec les deux décennies passées, ou s’il s’inscrira dans la continuité d’un pouvoir dont les fruits tardent à être ressentis par la majorité des Togolais.
Editorial du Magazine TOUT AFRICA N°3 Signé Roger ADZAFO