La tempête de l’incertitude à l’issue de la prochaine élection présidentielle souffle déjà sur le Cameroun, suscitant des tourbillons qui divisent jusqu’au sommet de l’Etat.

La société camerounaise présente aujourd’hui un visage meurtri, défiguré, boursouflé par des clivages de toutes sortes au fur et à mesure qu ‘on se rapproche de la présidentielle à venir. Jusqu ‘où ira la saignée ? Le secret appartient de toute évidence à la providence qui fixera l’opinion sur la dimension de la dévastation au temps indiqué. La dernière faille qui a traversé le pays est venue du milieu des motos taximen. Une frange de ce corps de métier qui baigne corps et âme dans l’informel, s’est retrouvée le 13 février dernier, jour du 91ème anniversaire de Paul Biya, dans les rues de certaines métropoles du pays pour demander à ce dernier de porter sa candidature pour un nouveau bail de 7 ans à la tête de l’État. Le coup était bien monté car ils arboraient tous des t-shirts floqués aux effigies du président de la République. La procession pétarade de ces conducteurs des engins à deux roues, a échoué au sein des gouvernorats où à chaque fois, les maîtres des céans, dans une euphorie insolite, disaient avoir bien reçu l’appel et qu ‘ils se feraient le devoir de le transmettre à qui de droit. Sauf qu’aussitôt, toujours dans le même secteur, la colère sourde des dissidents à cette dynamique en construction, promet de faire entendre sa voix au moment approprié.

Les benskineurs au Cameroun, faudraitil le rappeler, sont un corps sulfureux dont tous les usagers de la route redoutent le comportement grégaire et difficile à maîtriser. C’est toujours ces motos taximen qui se sont récemment attaqués à la revendication des enseignants, solidairement avec les pouvoirs publics. Dans le monde des influenceurs, la division ou la guerre ouverte fait rage, livrant au public toute la nudité de stars suivies à grande échelle et dont les pratiques quotidiennes sont le plus souvent en rupture avec la modération, plus que collusives avec la dépravation des mœurs. Pour autant, ils sont suivis, peu ou prou comme modèles. Le premier pétard qui a déflagré a été lancé par une certaine Marlène Emvoutou qui dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux, s’attaque frontalement à la Première dame Chantal Biya. Elle lui reproche de médiatiser sur la toile la vie civile du président de la République. Elle ne s’arrête pas là, elle va plus loin en s’interrogeant ou en attaquant à la valeur intrinsèque de l’épouse du chef de l’Etat. Tout ceci a suscité l’ire d’ une foule d’influenceurs, d’artistes et d’hommes politiques qui ont du mieux qu ‘ils pouvaient, tenté de recadrer la femme terrible de Dja et Lobo, le département d’origine du chef de l’État. Mal leur en a pris car c’était sans compter sur la témérité de la fille du professeur Gervais Mendo Ze, décédé au bagne il y a quelque temps. A chaque fois qu ‘elle est attaquée, elle élargit davantage l’envergure de sa déception qui est désormais en plein dans le champ politique. Pour elle et ses affidés qui se multiplient, il n’est pas question que Paul Biya à son vénérable âge soit encore candidat. Il faut noter que cette bataille de clochers se déroule principalement avec pour principaux acteurs, les ressortissants du fief du président de la République. A l’heure où cette tribune est rédigée, la saignée se poursuit sur les réseaux sociaux.

L’opposition à hue et à dia

Au sein de ce qu ‘il est convenu d’appeler l’opposition camerounaise, les divisions sont légion. L’Apc qui porte la candidature de Maurice Kamto, qui a lancé à sa façon, avant tout le monde, une alliance pour 2025, éprouve toutes les peines à se faire suivre par les autres partis de l’opposition. Joshua Osih par exemple du Sdf a annoncé samedi dernier être partant pour une transition politique mais a indiqué dans la foulée qu ‘il y a déjà autour de lui une coalition avec les syndicats et le Front de gauche qui se construit. Cabral Libii parle d’ une mutualisation des forces de l’opposition mais on observe déjà qu ‘il fourbit lui aussi les armes pour se lancer dans la course à Etoudi. A l’Udc, Tomaïno Ndam Njoya qui est la porte-parole de la Plateforme pour une révision consensuelle du système électoral, est la grande force de l’opposition qui pour l’heure fait la pondération. L’annonce de sa candidature qui est attendue va certainement peser dans la balance au cours des élections à venir. Dans le Septentrion, les divisions frappent de plein fouet et transcendent les appartenances politiques. Ainsi des voix jeunes se lèvent pour critiquer vertement les élites politiques si ce n’est pour les désavouer.

Ce qui se passe dans le Septentrion ressemble à s’ y méprendre sur ce qu ‘il y a eu lieu dans les deux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest avant l’ouverture des hostilités. Il y avait une sorte de crise larvée entre les élites et la population. Il se passe exactement comme si dans cette partie du pays, l’ordre politique est remis en question à l’approche de l’élection présidentielle. Qu ‘en sera-t-il le jour dit ? Suspense total. Le gouvernement travaillé par le clanisme Au sein de l’équipe gouvernementale, la bonne ambiance de l’ unité attendue est douchée par la farouche adversité de positionnement qui fait rage parmi les cadors. Tout Yaoundé est en permanence bombardée par des frasques insolites venant du sommet. Les clans se vouent une belle inimitié à ciel ouvert. Tout ceci est envenimé sur les réseaux sociaux où des piles de documents estampillés du sceau de la confidentialité tournent en boucle, au grand scandale de l’opinion qui ne sait plus à qui se remettre pour faire la part des choses. D’ailleurs toute décision gouvernementale est au premier chef scrutée pour déterminer le camp de sa provenance. C’est hilarant de voir les internautes jouer à ce jeu sur les réseaux sociaux. L’affaire Martinez Zogo est venue chauffer davantage l’opinion à blanc dans cette spirale de divisions. Si aujourd’hui la justice n’est pas toujours rendue, les observateurs inscrivent cet état de fait dans la dynamique de neutralisation des clans. Les péripéties et les rebondissements liés à cette affaire sont là pour exposer dans ce sens, l’étendue de la mésentente au sommet. Toujours au sein du pouvoir, des remaniements ministériels fantômes sont régulièrement publiés dans les réseaux sociaux, rabaissant ce camp et élevant l’autre, et vice-versa.

Il y a lieu de souligner tout de même que le dernier gouvernement est en poste depuis le 4 janvier 2019 à la sortie de l’élection présidentielle d’octobre 2018. Depuis lors, Paul Biya n’a plus revu la copie de ses nominations, en dépit des décès dans les rangs de l’équipe Joseph Dion Ngute, tout comme sur les bancs du parlement, aucune élection partielle n’étant organisée à cet effet. Au-delà de toutes les divisions, la principale question demeure si Paul Biya sera partant ou pas. Toutes les attentions sont portées dès lors vers l’éventualité de la tenue d’un congrès du Rdpc. Ces assises sont considérées par beaucoup au sein de l’opinion comme l’ouverture d’une boîte de pandore géante avec des esprits particulièrement remuants et déchaînés, qui une fois à l’extérieur, pourraient mettre le feu à la maison Cameroun. Et c’est là une grosse pomme de discorde certaine.

La Fécafoot sous le duel des Eglisiens et des Hiboux

Au sein de la Fécafoot, la division est plus que jamais ouverte entre le président de l’instance faîtière du football national, Samuel Eto’o et ses opposants. Le premier camp est taxé « d’Eglisiens » , un néologisme pour dire que les partisans du Pichichi le suivent de manière moutonnière, gobant tout ce qu ‘il dit avec des Amen comme on le ferait à l’Eglise. Les adversaires par contre sont peints comme des hiboux, des malfaisants qui veulent déchoir le patron du football camerounais à cause de la jalousie. Les résultats piteux de la dernière Can ivoirienne sont venus raviver toutes les tensions et frustrations au point où Samuel Eto’o a rendu le tablier, refusé instamment par les membres du Comité exécutif acquis à sa cause. Aujourd’hui, l’État a pris le relais pour voir clair dans les tenants et les aboutissants de la débâcle des Lions Indomptables en Côte d’Ivoire. Pour ne pas arranger les choses, de plus en plus sur les réseaux, il est annoncé la candidature Geremi Sorele Njitap Fotso à la présidence de la Fécafoot. Toute chose qui crée un grand remue-ménage entre les « Eglisiens » et les Hiboux .

Léopold DASSI NDJIDJOU, Le Messager